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Au bord du monde 1

by nezelette 

Posted: 02 December 2009
Word Count: 1385
Summary: The first chapter of my novel. I'm afraid this one is in French! I have two chapters left to write and then will come back to this for edit/re-write


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Je m’amusais à conduire le plus lentement possible. La veille j’avais battu mon record en mettant plus de quarante minutes pour aller du village à la maison en passant par la côte. Depuis quelques semaines, je me sentais plus à mon aise dans la région. Les gens me saluaient à Nierco même s’ils continuaient à se taire en me voyant arriver. L’après-midi même, une grappe de commères avait suivi mon passage sur la place du village en se poussant du coude et l’une d’elles avait sifflé comme une vipère. Mais les hommes attablés à la terrasse du café avaient levé leur verre dans ma direction en hochant la tête avec un demi-sourire.

Je roulais si doucement que j’aurais pu compter les cactus, et le bruit du moteur ne parvenait pas à couvrir celui des vagues qui éclataient contre la falaise. Quand j’ai entendu le hurlement, c’était aussi clair que s’il venait de l’intérieur de la voiture. J’ai continué à rouler pendant une dizaine de secondes sans être certaine d’avoir entendu quoi que ce soit, puis j’ai freiné, en jetant un œil sur le vide-poche de la portière. On m’avait volé un sac et envoyé quelques coups de poing trois ans plus tôt, et depuis je gardais une petite matraque à portée de main. J’ai fait marche arrière parce que la voie côtière était trop étroite pour tenter un demi-tour, j’ai coupé le contact et attrapé la matraque. J’étais à moins d’une minute de la maison. Je suis sortie de la voiture aussi sûrement que si j’avais su par avance tout ce qui allait se passer.

Pas un seul instant je n’ai douté de ma force, je ne me suis pas demandée ce que je faisais là. C’est seulement maintenant que je pense à tout ça. J’ai aperçu un petit pied au milieu des cactus géants qui griffaient mes bras et mes mollets. Et en avançant j’ai tout vu, le type qui s’agitait en frappant, frappant, comme s’il avait voulu la faire entrer dans la terre, tout en essayant de défaire la braguette de son pantalon crasseux, les plis de sa grosse nuque luisant de sueur. Et surtout ce pied, si petit, avec les orteils presque retournés, que j’ai fixé pendant si longtemps que j’ai cru que ça ne s’arrêterait jamais. Puis tout à coup, j’ai vu le visage de la fille, pourpre, monstrueux, une énorme fleur poussée dans les épines. Alors j’ai levé le bras, fait trois pas dans leur direction, et j’ai tapé le plus fort possible derrière la tête du gros type, juste une fois, mais avec une telle énergie qu’il m’aurait été difficile de bouger pour le battre une seconde fois. Il s’est avachi tranquillement, couvrant complètement la petite femme à tête pourpre. J’ai fouillé sous l’immonde tas de chair qui geignait à chacun de mes mouvements.

Finalement, j’ai trouvé une épaule, puis un bras sur lequel j’ai tiré. Un petit corps de marionnette est apparu, un peu cassé mais trop plein de douleur pour avoir l’air tout à fait mort.

J’ai dû la traîner jusqu’à la voiture, puis du siège arrière à la terrasse de la maison, mais la peur me donnait des forces. Je l’ai couchée directement sur les dalles rouges, dehors, et j’ai attendu en la regardant, assise par terre. Je me souviens d’un reste de robe légère et claire, de ses cheveux collés par le sang, et de sa grosse tête qui était en train de virer au bleu. A un moment, une envie de vomir m’a redressée et je l’ai assouvie par-dessus la balustrade qui donne sur la falaise. Sans réfléchir, j’ai aussi jeté la matraque dans la mer. Elle pesait depuis un moment dans ma poche et gênait chacun de mes mouvements. Puis je suis revenue m’asseoir auprès de la fille, le menton sur les genoux.
C’est maintenant que j’ai peur, mal, que les mains puissantes de l’angoisse me broient le ventre, que la colère crache son haleine sur mon visage. Mais j’ai vécu ces quelques heures sans vraiment habiter mon corps et aujourd’hui je les contemple comme on lit une bande dessinée, très claire, avec des scènes distinctes, en couleurs mais plates. Il manque une dimension à mon souvenir, il manque le drame, les cris, il manque une réaction humaine, et si je n’avais pas vomi de manière convulsive pendant deux jours, je pourrais croire que quelqu’un d’autre a ramené le petit corps et m’a raconté cette histoire. Seulement, la brûlure que je garde dans la gorge m’empêche d’oublier. L’amertume est restée dans ma bouche et réapparaît dès je pense à ce jour-là. Pas une amertume métaphorique mais un vrai goût qui déforme celui de tout ce qui passe le seuil de mes lèvres, qui transforme même la saveur de l’air que je respire.

J’ai fini par m’endormir à côté d’elle, recroquevillée sous la tiédeur du vent nocturne. J’ai rêvé que je roulais très vite sur la côte en riant, avec les fenêtres ouvertes et la radio à fond. C’est étrange comme on croit faire des choses inutiles. A quoi ça sert de rouler le plus lentement possible? Ca sert à sauver des filles qui vont se faire violer sur le bord de la route. Les concours de lenteur sur la côte en plein soleil, alors que la vitesse pourrait apporter tant de fraîcheur, ça sert à entendre les gens qui crient. Voilà.

Quand le soleil s’est levé, elle n’avait pas bougé d’un centimètre. J’ai dû dormir quelques heures, je me suis éveillée juste à temps pour voir le ciel blanchir et les étoiles commencer à disparaître. J’ai marché pieds nus sur la terrasse pour essayer de sentir quelque chose de ferme et de frais qui puisse m’arracher à cette nuit étrange. Après une année floue et sans vie, je me retrouvais face au monde, dans un univers cru et trop clair, une réalité devenue acide en une seule nuit, en un instant brutal, le temps d’un cri sur le bord de la route. Pourtant, rien de violent n’est d’abord venu me heurter. J’aurais voulu hurler, enfoncer mes ongles dans ma propre chair avec rage, mais c’est une lassitude traîtresse à la caresse dégoûtante qui m’a enveloppée. La simple décision de lui donner à boire est arrivée à moi tout mollement, en tournant autour de ma tête avant d’y pénétrer.

J’avais essayé de repousser le plus possible le moment où je devrais regarder son visage. Je veux dire la regarder vraiment. Et puis j’ai dû poser les yeux sur elle pour bien glisser la petite cuillère entre ses lèvres éclatées. L’eau a coulé sur sa joue bleue. Je me suis encore levée pour vomir, mais mon corps a suivi docilement mon regard qui, cette fois, voulait revenir vers elle. La voir une bonne fois pour toutes, ça sera fait. La tristesse est entrée par chacun de mes pores, elle a fait son chemin dans mes entrailles, dans mon sang, elle a pris tout mon corps. Elle a coulé dans mes membres et refusé de les quitter, mais toujours impossible de pleurer, de gémir, de parler. Même ce qui sortait de ma bouche n’était pas ma tristesse mais son ombre trompeuse et amère.

Je me suis accroupie à côté d’elle et j’ai essuyé le sang et la poussière collés sur ses joues. A un moment, ses yeux ont bougé sous ses paupières. Le matin s’est avancé doucement, empli d’une promesse de canicule, avec ses lambeaux de vent brûlant. J’ai pensé qu’il faudrait la porter dans la maison avant que le soleil ne s’attaque à elle. Au lieu de la traîner par les épaules ou les pieds, je l’ai prise contre moi comme un enfant qui dort et j’ai avancé tant bien que mal sur la terrasse. Quand je l’ai soulevée, sa tête est tombée sur mon épaule, ses cheveux collés ont fouetté mon cou. Elle était un peu plus petite que moi et anormalement légère. J’ai senti tout son corps contre le mien, ses jambes maigres battaient les miennes, son ventre était chaud, rond, tendu comme une brioche. Je crois que c’est ce ventre qui a tout déclenché. Ma force m’a quittée l’chement, j’ai réussi à la jeter sur le lit avant de tomber à genoux, et j’ai pleuré, enfin, pleuré ma découverte dans les cactus et pleuré la mort de Sam pour la première fois.






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Comments by other Members



chris2 at 21:49 on 21 February 2010  Report this post
Provides a strong opening for the novel. I think you have a good mix of events, description and internal thought and it moves quickly enough to catch and keep the reader's interest.

A couple of detailed points. The narrator simply assumes that the assailant has been actually killed by the single blow and is not worried about his reappearance even though her house is only a short distance away and she stays outside with the victim. Wouldn't she fear otherwise? Similarly, I would have expected her to question at the scene of the attack whether the victim was actually dead.

At the end, I found the phrase

j'ai pleuré la mort de Sam pour la première fois


confusing and my mind vacillated between Sam being the victim and Sam (him/her?) being somebody else from the back-story.

I am sure the reader would want to continue after this start.

Chris


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